Intelligent mais à la tête dure !

S’il est admis par la communauté scientifique que les Corvidae (pies, corbeaux, geais), les Psittacidae (perroquets, cacatoès),  les Bucerotidae (calaos) et certains rapaces sont les oiseaux à l’intellect le plus développé, peu s’imaginent que les pics ont un cerveau particulièrement volumineux par rapport à la taille de leur corps et sont considérés comme également très avancés en matière de développement cognitif. Utiliser l’outils complexe qu’est leur bec, creuser des loges aux dimensions adéquates et naviguer au sein de vastes territoires, comme c’est le cas pour le pic noir (jusqu’à 800 ha pour un couple), nécessite des capacités cognitives et une mémoire spatiale hors norme.

D’autant que, lorsqu’il tambourine, le cerveau d’un pic peut encaisser une accélération 300 fois supérieure à celle d’un astronaute au décollage et 35 fois plus que ce qui provoquerait la mort de n’importe quel être humain ! Un record dans le monde animal ! De tels chocs provoquent chez lui de nombreuses lésions cérébrales sans pour autant porter à conséquence, ce qui en a fait récemment un important modèle pour la recherche médicale sur la maladie d’Alzheimer. Mais que sait-on vraiment de la cognition chez les pics ? Les études scientifiques sur ce sujet restent encore extrêmement rares.

Améliorer nos connaissances sur la cognition animale est indispensable pour mieux appréhender les capacités adaptatives des espèces dans un environnement aujourd’hui en plein changement. Ainsi, coloniser de nouveaux habitats et s’adapter à des milieux de plus en plus fragmentés, comme le fait le pic noir depuis quelques décennies, nécessite de fortes capacités d’innovations, tant en matière de recherche de nourriture qu’en matière d’adaptation à un environnement de plus en plus urbanisé.

 

 

Autre point exceptionnel de cette espèce : son mode de vie particulièrement solitaire, y compris au sein de la famille des Picidae. Or, il est généralement admis par la communauté scientifique que l’acquisition, au cours de l’évolution, d’un cerveau de grande taille est corrélée à une vie sociale développée. C’est l’hypothèse du « cerveau social » (Social Brain Hypothesis, en anglais). Le pic noir, au contraire, semble plutôt accréditer une hypothèse alternative, celle d’un gros cerveau acquis du fait de la complexité de l’utilisation de son bec, outils hautement spécialisé et pourtant multifonctionnel (Extracting foraging hypothesis). Ainsi, il semble que le pic noir pourrait être l’héritier d’une version différente de l’évolution de l’intelligence animale !

Enfin, l’essentiel de nos connaissances sur la cognition des oiseaux nous vient de travaux effectués en laboratoire ou hors contexte naturel. En comparaison, peu d’études ont été effectuées directement sur le terrain et les pics sont parmi les grands oubliés de ces recherches.

 

Dans la tête du pic noir !

Un des objectifs de la phase 2 de ce projet est de développer une batterie de tests cognitifs sur des pics noir en conditions naturelles, sans perturbation des oiseaux. Seront particulièrement en ligne de mire une étude sur la mémoire à court terme, la mémoire à long terme, la mémoire spatiale, la plasticité cérébrale ainsi que sur la communication et la reconnaissance individuelle. Les techniques et méthodes utilisées, dérivées des recherche en sciences cognitives et en bioacoustique, sont en cours de développement.

Pour en savoir plus...

Au fil des décennies, de nombreux test cognitifs ont été mis au points par les spécialistes du comportement des oiseaux et par les chercheurs en neurosciences à travers le monde. Généralement adaptés à des espèces très étudiées, tels les corbeaux ou les perroquets, et en milieu contrôlé, la difficulté ici est d’en adapter un panel à une espèce à la morphologie et à l’écologie très différente, qui plus est en milieu naturel ! Il s’agit là d’un travail totalement original, jamais réalisé auparavant.

Associée à l’étude des déplacements au sein des territoires, la mémoire spatiale sera appréhendée par la méthode du radiotracking déjà évoquée plus haut.

Enfin, l’étude de la variabilité individuelle des émissions vocales ainsi que de la communication entre individus est un élément important pour en évaluer le degré de complexité. Les pics noirs se reconnaissent-ils individuellement ? Au sein du couple ? Face à des occupants de territoires voisins ? Autant de questions qui seront étudiées par l’analyse fine de sonagrammes issus d’enregistrement sur le terrain, à l’aide de microphones de grande performance.