Un montagnard à l’assaut des plaines

Encore considérée comme une espèce montagnarde jusque dans les années 1950, il commença à coloniser les plaines quelques années plus tard sans que l’on comprenne vraiment pourquoi.

Depuis, il a entamé une véritable colonisation massive du centre puis de l’ouest de la France, atteignant aujourd’hui la Bretagne et l’ensemble de la façade Atlantique. Diverses hypothèses ont été émises pour tenter d’expliquer ce phénomène, notamment liées à des changements de pratiques sylvicoles depuis quelques décennies. La présence de bois morts semble être un facteur clé mais ne suffit sans doute pas, à lui seul, à expliquer un mouvement d’une telle ampleur.

En parallèle de cette expansion et alors qu’il était autrefois considéré comme une espèce nécessitant de vastes territoires liés aux grands massifs forestiers, il s’installe maintenant volontiers dans des milieux ouverts, de plus en plus fragmentés, et jusqu’au cœur des bocages de l’ouest maritime.

 

Le plus long suivi jamais réalisé sur le pic noir !

Initié en 1982, mais avec des données datant déjà de 1977, ce projet au long cours s’est attelé à caractériser la dynamique de l’ensemble des territoires d’une forêt de 4000 ha et de ses bois périphériques (soit un total de 8000 ha) dans le nord de la France. Il s’agit là à la fois du plus long suivi jamais réalisé sur le pic noir, puisque se sont aujourd’hui 46 années de données qui se sont accumulées, et du plus vaste car il s’étend sur l’ensemble d’un massif forestier. Durant cette période, la population de pic noir de cette forêt est progressivement passée de 5 à 10 territoires (et plus de 15 si on inclus les bois périphériques), au sein desquels près de 300 loges ont été recensées et 107 nids observés, dont 59 entièrement suivis.

Pour en savoir plus...

Ce travail, phase 1 de ce projet qui s’est achevée à l’été 2022, a notamment abouti à plusieurs constatations majeures :

  • Malgré un territoire pouvant atteindre 800 ha pour un couple, le pic noir n’a fondamentalement besoin que de très petites surfaces pour établir une zone de nidification récurrente. Si la végétation s’y prête, quelques hectares peuvent suffire aussi longtemps qu’une zone d’alimentation adjacente de taille suffisante est disponible.
  • Sur une période de près d’un demi-siècle, et donc à l’échelle de plusieurs générations d’adultes, les territoires sont peu mobiles aussi longtemps que le couvert forestier reste favorable. Par ailleurs, l’organisation spatiale des territoires est très dépendante de la topographie du site.
  • En deçà de la densité maximale de territoires que peut supporter un massif forestier, des zones pourtant très favorables peuvent rester vierges d’activité car situées à l’interface de deux territoires adjacents. Ces « zones tampons » tendent à disparaitre quand la densité des territoires s’approche de son potentiel maximum.
  • En situation de faible densité de population, les zones dortoir récurrentes des mâle et femelle d’un même couple ont tendance à être clairement isolées et plus ou moins distantes. Au fur et à mesure de l’augmentation de cette densité, cette caractéristique semble régresser considérablement et il devient fréquent que ces deux zones fusionnent, mâle et femelle se couchant alors jusqu’à une centaine de mètres l’un de l’autre.
  • Enfin, la colonisation progressive des plaines par le pic noir s’accompagne localement d’une augmentation de la densité des territoires. Celle-ci ne semble pas suivre un front de colonisation linéaire mais semble commencer par une saturation progressive des grands massifs forestiers, suivie par une occupation de plus en plus large des bois périphériques de plus petites tailles ainsi que par une adaptation croissante de l’espèce aux milieux fragmentés.

L’ensemble des résultats de ce travail scientifique est en cours de publication.